Depuis toujours on m’appelle Harry même si mon vrai prénom est Ivan. Dans la communauté rom, ça arrive très souvent de recevoir un surnom quand on est enfant et de le garder pour le reste de sa vie ! A Bruxelles, les liens au sein de notre communauté sont toujours très forts et les traditions continuent de se transmettre de génération en génération. Je me suis marié à 17 ans avec une fille de Gârla Mare, le village de Roumanie dont nous sommes originaires. Aujourd’hui j’en ai 27, j’ai trois enfants et je vis avec eux, ma femme et mes parents dans un grand appartement à Molenbeek. J’adore emmener ma famille au parc, à la piscine ou au cinéma et c’est nouveau pour nous de pouvoir faire ça. J’essaye aussi de transmettre le plus possible à mes enfants les façons de faire et les modes de vie roms mais je sais que leur monde est différent de celui dans lequel j’ai grandi et tant mieux ! Ils auront d’autres opportunités comme celles de faire des études et choisir un métier qui leur plait.
Avec mon frère et mes parents, nous sommes arrivés en Belgique en 1996. Je n’avais que 5 ans mais je me souviens très bien du voyage : on traversait les frontières par les forêts et les petits chemins. En Allemagne, on avait été arrêtés et placés dans un centre fermé pendant plusieurs jours avant d’être libérés. Une fois arrivés à Bruxelles, c’était un choc de découvrir tous ces grands immeubles!
Les premières années ici, nous les avons passées en centres d’accueil avant de trouver à se loger. Nous vivions dans une grande précarité. Mon père avait de graves soucis de santé et il était trop faible pour travailler alors il gagnait quelques sous en jouant de l’accordéon dans la rue. On a tous fait la manche pour vivre. Ma mère elle aussi avait une santé fragile mais après quelque temps, elle a su trouver du travail comme femme de ménage. Moi dès l’âge de 15 ans, j’ai commencé à faire des petits boulots sur des chantiers pour 5€ de l’heure et ça me faisait un peu d’argent de poche pour m’acheter des vêtements et des livres.
J’aimais l’école et j’ai toujours eu de bonnes notes jusqu’à ma 3e professionnelle. Malheureusement pour les gamins roms comme nous, l’école était aussi le lieu de toutes les humiliations : les insultes, les crachats, les bagarres! Parfois je n’en pouvais tellement plus qu’il m’arrivait de m’absenter pendant plusieurs jours jusqu’à ce que mon père me convainc de retourner en classe. Au fur et à mesure des années, j’ai fini par gagner le respect de mes camarades simplement parce que je rendais bien les coups ! Mais ça m’a fait beaucoup de mal. Aujourd’hui encore, je ne comprends pas comment une personne peut chercher à en humilier une autre ! Pourtant le racisme est toujours aussi présent et il n’est pas prêt de disparaître ! Les Roms sont encore très stigmatisés et je sais que nos enfants devront aussi faire face à cette forme de violence.
A 18 ans j’ai terminé l’école et j’ai tout de suite cherché du travail. Pendant plusieurs années j’ai alterné des périodes de chômage avec des contrats aidés en tant qu’ouvrier polyvalent ou éducateur et aussi avec des petits boulots comme la cueillette des pommes et poires. J’ai eu des moments plus durs que d’autres mais aujourd’hui je vais mieux et je suis confiant pour l’avenir. J’arrive au terme de mes 12 mois de contrat comme assistant technique à Art2work et ce travail m’a vraiment permis de m’ouvrir et de découvrir plein de choses. Grâce à ce boulot par exemple, j’ai entendu du reggae pour la première fois et maintenant j’en écoute beaucoup! Je garderai de très bons souvenirs de cette expérience professionnelle.
Après ce contrat, j’aimerais suivre une formation d’informatique parce que j’adore toujours autant apprendre ! En parallèle, si un poste se crée, je voudrais travailler pour l’association de mon frère, MolenRom, qui accompagne les jeunes roms mais aussi les jeunes d’autres communautés dans leur parcours scolaires et professionnels. Ce serait à la fois un travail de bureau et de terrain, ce qui me conviendrait parfaitement ! Et comme pour tout ce que j’ai entrepris jusqu’à aujourd’hui, je le ferai toujours à 100% et avec le cœur !